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Autre Chose

Chroniques musicales et comics en vrac...


The Jerry Ragovoy Story 1953 - 2003

The Jerry Ragovoy Story 1953 - 2003

Il le disait lui-même: "Les artistes récoltent la gloire tandis que les producteurs restent dans l’ombre". Sa mort survenue le 13 juillet 2011 étant passée totalement inaperçue confirme malheureusement cette constatation. Producteur soul emblématique des sixties, Jerry Ragovoy possède pourtant à son crédit un nombre incalculable de hits qu’il a produit, arrangé et même souvent composé.
Trône en première position de cette excellente compilation Ace (pléonasme), la déchirante ballade "Stay With Me". L’histoire de ce morceau découle une nouvelle fois d’un hasard total et raconte sans équivoque une époque merveilleuse et définitivement révolue. Juillet 1966, suite à l’annulation d’une séance prévue par Frank Sinatra, le studio A&R de New-York doit trouver de quoi occuper l’orchestre de 46 musiciens rémunéré pour l’occasion. Mike Maitland, le directeur de Warner Bros, demande à Jerry Ragovoy si cette session gratuite l’intéresse. Le producteur saute bien sûr sur l’occasion et passe deux nuits blanches en compagnie de Garry Sherman à écrire les arrangements de ce morceau pour la chanteuse soul Lorraine Ellison de Philadelphie. Parfaitement préparé, le morceau est enregistré en une seule prise chant compris. Dans la régie, les gens de Warner Bros sont subjugués par l’émotion dégagée par cette chanteuse gospel inouïe qui se lâche complètement et vit son texte à fond. Le morceau terminé, les larmes perlent autant chez les techniciens que les musiciens de l’orchestre. La magie Ragovoy.
Né à Philadelphie en 1930 de parents Hongrois-Tchèque-Russe, il découvre la musique noire en travaillant dès 1949 chez Treegoob, magasin d’électroménager d’un quartier black. Celui-ci possédant un rayon disques ainsi que mini studio d’enregistrement, Jerry Ragovoy a bien vite l’idée d’enregistrer les morceaux doo-wop/gospel que les habitants du quartier chantent en passant dans la rue. Il enregistre alors "My Girl Awaits Me" des Castelles et le sort sur Grand Records, label monté à la va-vite avec Herb Slotkin, propriétaire de Treegoob’s. Le 45 tours cartonnent et s’exporte sur la côte est à Washington, Baltimore, New-York, s’écoulant à plus de 100.000 exemplaires!
Suite à ce succès, Jerry Ragovoy est engagé en 1959 par Chancellor Records, gros label R&B de Philadelphie. En 1961, il arrange "I'm Comin' Home", un des premiers morceaux de Burt Bacharach/Hal David, pour 25 instruments pour les Fabulous Four. Il enregistre ensuite "A Wonderful Dream" avec The Majors, qui se classe 22ème au Billboard et part à New-York pour tenter de travailler avec les gros labels du Brill Building, alors en plein développement. Il y enregistre Solomon Burke, Jackie Wilson, The Vibrations...
Sa version de "Disappointed" par Claudine Clark, enregistrée en 1962, défini la direction future du producteur. En mariant le chant blues/gospel aux arrangements riches, il s’inscrit d’emblée dans les premiers producteurs d’une soul naissante. Son premier carton dans le genre vient en mai 1963 avec "Cry Baby" de Garnet Mimms & The Enchanters qu’il arrange et produit avec Bert Berns atteignant le numéro 4 au Billboard et la première place du classement R&B. Garnet Mimms devient par la suite son protégé, en solo, enregistrant de nombreux tubes dont le classique northern "As Long As I Have You" de 1964 et la ballade pêchue "Thinkin'" de 1966, ici présents. "Cry Baby" trouvera d’avantage de succès par la version de l’insupportable gueuleuse Janis Joplin sur son album Pearl. Elle reprend d'ailleurs "Piece Of My heart" et "Try (Just A Little Bit Harder)" sur d'autres albums.
C’est encore un hasard de planning qui lui fait écrire "Time Is On My Side" en 1963. Son collègue Garry Sherman ayant un trou dans une session avec le tromboniste de jazz Kai Winding et trois choristes R&B, Ragovoy improvise ce morceau en une heure en écrivant même précisément le solo. Le titre échoue sur une face B mais retrouve une seconde jeunesse en été 1964 repris par Irma Thomas, en lui ajoutant des paroles à la place du trombone. Il explose quelques mois plus tard avec la version des Rolling Stones sortie uniquement aux Etats-Unis et qui atterri numéro 6 au Billboard et fait entrer les londoniens sur le marché US.

The Jerry Ragovoy Story 1953 - 2003

En 1964, il innove encore dans ses arrangements soul sur le magnifique "I Can't Wait Until I See My Baby's Face" de la chanteuse jazz Pat Thomas. Cuivres envoutants, cordes plus discrètes et une guitare rythmique qui deviendra la norme du genre.
Petit retour au doo-wop en 1965 avec l’énergique "Good Lovin'" des Olympics qui deviendra un tube repris par les Young Rascals en 1966. Les Who le jouent également sur scène depuis 1965. Ne pas manquer leur version pétaradante sur la compilation BBC Sessions sortie en 2000.
Autre fait d’arme: le tube mondial de Miriam Makeba "Pata Pata" de 1967. C’est Warner Bros qui demande à Ragovoy d’écrire des morceaux pour cette chanteuses d’origine sud-africaine alors inconnue. Celle-ci se produit dans le milieu folk du Village new-yorkais en jouant un folk africain ancestral et demande qu’on lui écrive des ballades typiquement américaines. Mais le compositeur préfère utiliser ces mélodies et ces dialectes africains pour lui écrire des morceaux. "Pata Pata" se classe au plus haut dans un bon paquet de pays et sera ensuite reprise des dizaines de fois.
Une autre rencontre qui s’avérait immanquable: celle de Dusty Springfield. La plus grande chanteuse blanche de tous les temps à ainsi couché quelques perles avec le producteur dont ce "What's It Gonna Be?" écrit avec Mort Shuman et dont les choeurs sont assurés par Carole King, Madeline Bell, Valerie Simpson et Nick Ashford!
Lassé des labels incompétents ne faisant pas leur travail de promotion, Bert Berns fonde en 1967 le label Shout Records et invite Jerry Ragovoy à venir y collaborer. Il y enregistre des morceaux pour Lorraine Ellison, Freddie Scott et Erma Franklin. Mais Bert Berns meurt d’une crise cardiaque en décembre de la même année. Désirant poursuivre ce mouvement d’indépendance, Ragovoy fonde alors son propre studio d’enregistrement Hit Factory Studio. L’endroit devient rapidement réputé et s’y croisent entre autres BB King, les Rolling Stones ou encore Jimi Hendrix qu’il mettra d'ailleurs dehors manu militari une soirée à la fin des années 1960, la session s’étant transformée en orgie alcoolisée et droguée au plus haut point.
Les années 1970 deviennent plus épurées pour le producteur qui lève un peu le pied. Il fonde tout de même son propre label Rags Records en 1973, suivant l’exemple de son ami Bert Berns. La soul a grandement changé entre temps. Sous l’influence de sa ville natale, les cordes deviennent prépondérantes ainsi que les cuivres, les ambiances sirupeuses et moelleuses. Ce changement transparait sur "What About You?" de Carl Hall enregistré en 1973. Les différences avec "You Don't Know Nothing About Love" sorti quelques années plus tôt sont énorme. La voix y explose et se fait bien plus touchante et déchirante sur un lit de flûtes et de choeurs langoureux. Même recette sur "What Do You Want Me To Do?" de Lou Courtney. "Ain't Got Nobody To Give It To" de Howard Tate voit l’arrivée du Glockenspiel et du Moog. L’évolution s’amplifie jusqu’au dégoût en 1974 et cette sur-orchestration du pourtant succulent "Move Me No Mountain" de Dionne Warwick qu’il qualifie lui-même de Burt Bacharach raté. Il produit ensuite encore un peu comme la ballade "Pretty Red Lips (Kiss My Blues Away)" de l’ex-Delfonics Major Harris en 1978 mais il se contente par la suite de composer des morceaux pour Barry White, Diana Ross, The Manhattans...
Dernier travail: il renoue avec Howard Tate en 2001 sur son album "Rediscovered" qu’il écrit, arrange et produit. Le chanteur était entretemps devenu pasteur dans le New Jersey. Des fans demandant souvent à Jerry Ragovoy des nouvelles du chanteur, c’est lui qui l’incita à remonter sur scène et enregistrer.
Après s’être enfilé tant de trésors, que peut-on écouter d’autre? Les gens de Ace ont encore une fois produit un boulot exemplaire. Le son est parfait, la sélection sans fausse note, le livret fourni en photos et anecdotes et rend un hommage anticipé à ce grand personnage.

Note: 9/10
Label: Ace Records - Compilation - 2008
Support: CD

 1. Lorraine Ellison - Stay With Me
 2. Garnet Mimms - As Long As I Have You
 3. The Olympics - Good Lovin'
 4. Kai Winding - Time Is On My Side
 5. The Majors - A Wonderful Dream
 6. The Castelles - My Girl Awaits Me
 7. Garnet Mimms & The Enchanters - Cry Baby
 8. The Fabulous Four - I'm Comin' Home
 9. Claudine Clark - Disappointed
10. Estelle Brown - You Got Just What You Asked For
11. The Enchanters - I Wanna Thank You
12. Pat Thomas - I Can't Wait Until I See My Baby's Face
13. Howard Tate - You're Lookin' Good
14. Irma Thomas - The Hurt's All Gone
15. Garnet Mimms - Thinkin'
16. Miriam Makeba - Pata Pata
17. Dusty Springfield - What's It Gonna Be?
18. Carl Hall - You Don't Know Nothing About Love
19. Lou Courtney - What Do You Want Me To Do?
20. Howard Tate - Ain't Got Nobody To Give It To
21. Carl Hall - What About You?
22. Dionne Warwick - Move Me No Mountain
23. Major Harris - Pretty Red Lips (Kiss My Blues Away)
24. Howard Tate - Get It While You Can

Publié le par Ben


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